Je n’aurais jamais cru faire un jour une chose aussi ridicule. Ecrire un journal ? Ma vie n’était pas assez intéressante pour cela. C’est vrai, j’avais beau être unique en mon genre, je restais une simple fleur. Une fleur ne pouvait pas mener une vie particulièrement mouvementée et excitante. Quoi qu’il en soit, même si j’avais réellement voulu partager le récit de ma vie avec d’autres, je ne l’aurais pas pu. Difficile de tenir un crayon entre deux pétales. Mais à présent, la situation a changé, et le moins qu’on puisse dire, c’est que je suis totalement perdue dans le monde dans lequel j’ai atterrit. Après tout ce qui s’est passé, je commence à regretter mon ancien rêve d’aventure. Non pas que je n’apprécie pas mon statut actuel. Mon vœux a été exaucé : j’ai des jambes, tout comme mon meilleur ami, comme je l’avais toujours désiré ; j’ai gagné en forcé, en puissance. Mais tout cela me semble tellement étrange. J’ai beau avoir appris à m’y habituer, je n’arrive toujours pas à me faire à cette situation.
Et mon petit prince ...Mon prince est plus détruit que jamais. Les situations se sont inversées. Il n’a plus besoin de m’aider comme il le faisait avant, c’est à moi de prendre soin de lui. Maintenant que j’en suis capable, je me dois de lui rendre la pareille, à lui, la personne la plus importante de ma vie. Il avait passé le début de la sienne à me chouchouter, je comptais bien en faire de même en l’aidant à retrouver celui qu’il était. Je ne supportais pas qu’il ne soit que l’ombre de lui-même, je ne supportais pas qu’il ne se souvienne pas de moi.
C’est l’une des raisons pour lesquelles je prends aujourd’hui la plume : je ne veux pas oublier. Enormément de choses changent dans cette ville mystérieuse dans laquelle nous avons élu domicile ; mais si une chose est sûre, c’est que le lien que nous partageons ne disparaitra jamais. Il restera à jamais indélébile. Je l’aiderais à retrouver la mémoire, je ne l’oublierais pas, moi. Je garderais toujours ce carnet près de moi. Il sera ma mémoire ; mon passé, mon présent. Il sera mon histoire.
~ 9 printemps ~
Je n’étais qu’une jeune fleur à peine éclose lorsque cela s’est produit. J’avais à peine vécu neuf printemps. Aujourd’hui, cela me parait tellement lointain. Pourtant, rien n’aurait pu faire disparaitre ce moment magique de mon esprit. A l’époque, je ne le savais pas encore, mais la rencontre que je m’apprêtais à faire ce jour là allait changer le cours de ma vie.
J’avais déjà eu l’occasion de l’apercevoir, parfois, durant ma croissance. Lui, ne me voyait pas, malgré mes efforts pour attirer son attention. Etais-je trop petite ? Trop insignifiante pour ce géant aux cheveux dorés ? A ce moment là, j’aurais donné n’importe quoi pour qu’il jette un œil sur moi, me remarque tout simplement. Après tout, j’étais la plus belle fleur de la planète, l’unique de mon espèce qui poussait sur ce terrain. Je méritais tout de même un tant soit peu d’attention !
Mais le garçon ne semblait pas se rendre compte de ma présence, ignorant totalement mes râles d’exaspération. Occupé comme il l’était à se charger de déterrer les pousses de baobab, et à ramoner les volcans, il ne prêtait même pas attention à la douce et magnifique créature qui se trouvait juste sous ses yeux. Pour un peu, je l’aurais piqué avec l’une de mes quatre précieuses épines. Etait-il si aveugle que cela ? Personne jusque là n’avait eu le culot de m’ignorer de la sorte...Sans doute parce que nous n’étions que les deux être vivants avancés sur cette plante. Il n’empêche que cela était de très mauvais goût. Extrêmement vexant, et humiliant.
Aussi attendis-je au moins une longue semaine avant de finalement décider de faire noter au jeune garçon ma royalissime présence, en utilisant la voix pure et cristalline dont j’avais été dotée. Je me mis alors à toussoter –ce qui ne fut pas difficile. Avec le froid qui s’était abattu sur notre territoire ces derniers mois, il ne serait pas étonnant que j’ai malencontreusement pris mal- afin d’obtenir une réaction de sa part. Il me fallu exactement trois essai avant de finalement réussir dans mon entreprise. Il se retourna, et enfin, croisa mon regard. Nous nous scrutâmes durant quelques minutes avant que, finalement, l’enfant ne me salue.
Ce jour là, nous discutâmes durant des heures, jusqu’à ce que la nuit ne vienne à tomber. Ou plutôt devrais-je dire : « je discutais ». Le blondinet, quand à lui, n’était pas bien bavard. Tout ce qu’il faisait, c’était me poser des questions sur ma vie, ma condition de fleur. Apparemment, les humains comme lui n’obéissaient pas aux mêmes règles que nous. Déjà, il possédait des jambes, contrairement à mon espèce. Ca, c’était plutôt sympa. Moi aussi, j’aurais aimé pouvoir marcher et courir, comme il le faisait, mais mes racines m’en avaient toujours empêchée. C’était injuste. Dun autre côté, cela m’épargnait d’effectuer la dure tache de salir mes pétales en aidant le garçon à entretenir la planète, ce qui était un avantage non négligeable. Finalement, je n’allais pas m’en plaindre. J’étais très bien, avec mes racines enterrées et mes douces pétales semblables à du velours. Affublée de telles qualités, je ne pouvais qu’être plus jolie que cette créature de chair et de sang. Pourtant, cela ne m’empêcha pas de m’attacher à celui que l’on surnommait « Le petit prince ». Non pas que je lui aurais un jour confié ce secret, j’avais ma fierté tout de même.
~ 20 printemps ~
Il est parti. Il m’a abandonnée. Je savais que je n’aurais pas du lui en vouloir : il avait toujours été curieux, son intention n’avait pas été de me blesser. C’était sans doute ce qui rendait tout cela plus difficile : je savais qu’il ne voulait pas me faire du mal, il avait même proposé de rester, pour moi ! Comment pouvais-je le détester après cela ?
Pour la première fois de ma vie, je m’étais forcé de ne pas me montrer égoïste. Il avait des jambes, lui, il pouvait voyager. Je n’avais pas eu le cœur de l’en empêcher. Après tout, sans doute aurais-je fait la même chose si j’en avais été capable. De quelque façon que ce soit, je ne me voyais pas jouer avec lui le même rôle que celui de mes racines qui me maintenaient au sol, me défendant de tout déplacement. Je tenais bien trop à lui pour ne pas l’empêcher de vivre. Mais j’étais bien trop attaché à ce garçon également pour ne pas être touchée par son départ. Je m’étais promis de ne pas verser de larmes, tout du moins devant lui, mais je ne mis pas longtemps avant de craquer après son départ. Mon seul ami m’avait laissée seule sur cette supposée « petite » planète. Sans lui, celle-ci me paraissait bien trop vaste, sans fin...Et surtout vide. Chaque matin, lorsque mes paupières s’ouvraient, et que les rayons du soleil venaient frapper mes minuscules yeux verts, et caresser mes pétales roses, j’espérais. Que tout cela n’était qu’un rêve, qu’il soit revenu à mes cotés ? Je ne le savais pas exactement moi-même.
L’ennui fut également l’une des choses les plus difficiles à supporter. A mon humble avis, bien plus même que la solitude. J’avais pris l’habitude de discuter avec le prince chaque jour, de m’amuser et rire avec lui. Aujourd’hui, ma seule occupation était de me défendre, à l’aide de mes quatre dangereuses épines, des insectes qui ne désiraient qu’une chose : se nourrir de moi. Avant, c’était lui qui s’occupait d’eux. A présent, je devais me débrouiller seule, tout faire par moi-même. Ce n’était pas chose aisé pour la diva que j’étais –après tout, le prince avait toujours subvenu à chacun de mes besoins, et cédé au moindre de mes caprices- mais j’étais néanmoins satisfaite de la situation. Après tout, cela faisait passer le temps, et plus encore devrais-je dire : cela me défoulait. Ces attaques quotidiennes me permettaient de laisser libre cours à mon chagrin, mais surtout à ma colère ; si bien qu’au bout d’une semaine à peine, je me surpris à attendre avec impatience le moment où je piquerais ces créatures menaçantes de la pointe de mon épine.
Tous les efforts que je fournissais afin de rester en vie, et disons le clairement, en un seul morceau m’épuisaient énormément. C’était l’un des autres avantages que me procuraient ces offensives. Ereintée telle que je l’étais lorsque le soir venait à tomber, je m’endormais immédiatement. Cela ne m’empêchait de songer aux moments que l’on avait passés ensemble, à regarder les couchers de soleil, assis l’un à côté de l’autre, des étoiles dans les yeux dues à la beauté du spectacle qui s’offrait chaque soir devant nous. Désormais, je me forçais à rester éveillée, au moins pour en apercevoir un, sur notre planète, en me demandant si lui aussi, faisait de même de son côté, en pensant à moi.
Je soupirais. Chaque fois que je tentais de l’oublier, le garçon aux cheveux d’or revenait à mon esprit. Je savais pertinemment que je n’aurais jamais du m’attacher à cet égoïste petit humain. Après tout, je n’étais qu’une fleur. J’avais eu raison depuis le départ : je ne représentais rien pour lui. Il fallait que je me rende à l’évidence, j’avais beau lui avoir confié qu’il était important pour moi, il ne ressentait certainement pas la même chose. Il était humain, lui. Il pouvait se faire tout un tas d’amis.
Je me promis de ne pas lui faire le plaisir, quand il rentrerait –s’il rentrait un jour- de lui montrer à quel point il m’avait manqué. Je ne garderais un parfait masque d’indifférence. Je ne lui parlerais plus, et lui ferais la tête jusqu’à ce qu’il s’excuse. Pour qui se prenait-il ? Il n’était qu’un sale petit garçon insensible, à s’amuser alors que sa pauvre rose souffrait. A présent qu’il n’était plus là pour me recouvrir tous les soirs, je mourrais de froid. Mais cela, il s’en fichait, il avait bien mieux à faire que de s’inquiéter de l’état de sa jolie petite fleur, qu’il avait laissée derrière lui.
Depuis quelques semaines, je toussais sans interruption, et je sentais ma tige s’affaiblir. Sans doute étais-je tombée malade. Pff...Tout cela ne serait jamais arrivé si cet idiot de blondinet n’avait pas quitté le navire. Tout était de sa faute, et je comptais bien lui faire entrer cela dans sa petite tête lorsqu’il rentrerait. Pour se faire pardonner, il devra s’occuper de moi, et ce, à chaque fois que je lui demanderais. Il devra me traiter comme la princesse que j’étais, et, avant tout, me promettre de ne plus jamais me quitter. Alors, peut-être, j’envisagerais d’accepter ses excuses.
~ 23 printemps ~
Ca y est, il est enfin revenu. Mon meilleur ami est revenu, et au fond de moi, la joie est tellement immense que je n’ai plus le cœur de lui en vouloir. Lorsque, occupée à observer un papillon coloré, mon attention avait été détournée par ses fines mèches blondes, éclairées par le soleil du matin, je n’avais pu retenir le sourire ravi qui s’était alors dessiné sur mon visage.
Expression de satisfaction que j’avais tout de suite ravalée. J’avais beau lui avoir pardonné au moment même où il avait posé les pieds sur notre planète, je voulais quand même qu’il retire une leçon de tout cela : on ne s’amuse pas comme ça avec les sentiments de sa rose. Cet idiot ne savait pas à quel point il m’avait manqué !
Aussi, je m’efforçais d’afficher une mine boudeuse, en tout cas les premiers jours, ne répondant volontairement pas à ses questions, et ce, jusqu’à ce que celui-ci ne s’inquiète de mon état : ce n’était tout simplement pas dans mes habitudes d’être aussi silencieuse. Moi, la plus grande pipelette connue dans ce monde, qui se taisait. Cela lui semblait certainement difficile à croire. Lorsque je lui fis part des raisons qui m’avaient poussé à lui faire la tête ainsi, il s’étonna de ma réaction, et augmenta d’autant plus la quantité de questions qu’il me posait habituellement. Me rendant compte que je n’obtiendrais surement jamais les excuses que j’attendais avec tant d’impatience, je finis pas abandonner, lui adressant la parole de nouveau.
Il fit comme si de rien était, comme si je n’avais jamais été fâchée contre lui, comme s’il ne m’avait jamais quittée. Nous reprîmes notre vie telle que nous l’avions laissée avant son départ. Il reprit ses anciennes habitudes, prenant soin de moi, et me débarrassant totalement de mon affreux rhume. Il me parla de toutes les planètes qu’il avait pu visiter, toutes si différentes de la notre.
Moi qui aimais être au centre de l’attention, pour une fois, l’écoutais avec un calme olympien. J’étais captivée par ses récits de voyage, passionnée par les découvertes qu’il avait pu faire. Moi, je ne pourrais jamais accomplir de telles choses, alors je les vivais par son intermédiaire. Je m’imaginais traverser des planètes inconnues, faire la connaissance d’étrangers, et avant tout, avoir la possibilité d’assister à des milliers de couchers de soleil, avec mon petit prince. Nous serions assis sur l’herbe humide, par la faute de la rosée du matin, les pétales dans le vent, les yeux fixé sur le magnifique dégradé qui se dessinerait sur le ciel. Si seulement cela était possible. Cela serait tout simplement magique. Même s’il était certain que, pour rien au monde, je ne sacrifierais mon statut de fleur – ou tout du moins le pensais-je à cette époque là.
Contrairement à ces humains étranges, j’étais belle et élégante. Peut-être avaient-ils la possibilité de migrer mais à quoi cela m’aurait-il servi ? Moi contrairement à eux, j’avais mon petit prince pour m’aider. Je n’avais besoin de rien d’autre. Tant qu’il restait là, avec moi, sur notre planète, je ne craignais rien : ni les vers et autres insectes répugnants, ni le froid, ni l’invasion de Baobabs. Il me protégerait de toutes les menaces qui tenteraient de m’atteindre. Y compris la solitude. Dire qu’il avait fallu qu’il parte pour que je comprenne à quel point j’étais devenue dépendante de cette géante créature.
D’après ce qu’il avait pu me raconter, il avait parlé de moi à ses nouveaux amis. A ces mots, je n’ai pu cacher ma joie. Alors il avait pensé à moi aussi ? Je m’efforçais malgré tout de masquer mes émotions. Ce n’était tout simplement pas dans mes habitudes de m’emballer pour si peu.
-C’est normal, lui avais-je répondu d’un ton hautain, dont j’avais le secret. Je suis unique après tout.
A cela, il avait sourit entrepris ses habituelles interrogations –qui, je devais l’avouer, m’avaient énormément manquées. Il me demanda ce que j’avais fait durant ces quelques mois, s’inquiéta de savoir si aucune bestiole n’avait réussi à me mordre, ce à quoi je lui rétorquais fièrement que j’étais bien plus forte et résistante que ce qu’il pouvait bien croire.
Arrivant rapidement à cours d’anecdotes intéressantes, je montais certaines histoires de toutes pièces. Comme à son habitude, il se contentait d’écouter patiemment, m’interrompant parfois, en me demandant des détails sur tel ou tel événement : Comment avais-je réussi à dompter un baobab ? Comme avais-je pu trancher la tête du dragon à dix pattes d’une seule épine ?
Il me savait bien incapable de ces exploits, mais il écoutait, comme il en avait l’habitude, me laissant reprendre mon rôle de petite princesse en regagnant son entière attention. Jamais je ne lui ai parlé des difficultés que j’avais rencontrées. Il n’avait pas besoin de le savoir après tout. Il me pensait forte ; je ne voulais certainement pas briser l’image positive qu’il avait de moi. Je voulais qu’il m’admire, pas qu’il me prenne en pitié.
~ 37 printemps ~
Je m’étais promis de ne plus pleurer pour lui, de ne plus verser une seule larme par la faute de cet imbécile. Mais il m’avait trompée. Il m’avait juré de ne plus partir, mais il m’avait une fois de plus abandonnée. Fait, qu’encore aujourd’hui, j’avais énormément de mal à accepter. Je devais me rendre à l’évidence : malgré moi j’étais devenue extrêmement dépendante du blondinet.
Cette fois-ci, je ne l’avais pas entendu partir. Sans doute s’en était-il allé dans la nuit, silencieux comme toujours. Il ne m’avait même pas dit au revoir, pas dit quand est-ce qu’il rentrerait. Il n’avait pas souhaité me faire part de ses projets de voyage. Je l’aurais soutenu, comme toujours. Je l’aurais peut-être un peu piqué avec mes épines pour me venger, mais j’aurais accepté son départ. Je ne pouvais m’empêcher de m’interroger sur ce qu’il avait pu devenir. Etait-il arrivé sans encombre ? Peut-être était-il blessé ? Perdu ? Seul ? Moi, j’étais forte et indépendante, je pouvais m’en sortir seule. En revanche, de son côté, il avait besoin de moi...Tout du moins je l’espérais.
Les jours passèrent sans que je n’aie aucune nouvelle de mon ami. L’inquiétude se substitua alors à la colère et l’indignation. Je ne me souvenais pas avoir fait quoi que ce soit qui ait pu attirer son courroux. A vrai dire, je n’avais pas souvenir de l’avoir vu s’énerver une seule fois contre qui que ce soit. Il était doux comme la rosée du matin. Jamais il ne m‘aurait fait souffrir de la sorte une fois de plus, tout du moins, pas de manière volontaire.
Une conclusion s’imposa alors à mon esprit : il devait lui être arrivé quelque chose. Quelque chose de grave. Dans un état de panique total, je m’efforçais de trouver une solution pour l’aider, élaborer un plan afin de le secourir : je lui devais bien cela après tous les services qu’il m’avait rendus. Bien évidemment, la présence de ma majestueuse personne à ses côtés valait tout les remerciements que j’aurais pu prononcer ; mais aujourd’hui, si mes soupçons se trouvaient être exacts, la situation était grave. Mon meilleur ami m’avait été retiré, il était hors de question que je reste ici à ne rien faire. On a souvent tendance à sous-estimer la puissance des fleurs. Nous les roses, nous avions beau être légères et délicates, nous étions tout de même aptes à nous défendre. Et rien n’est plus dangereux qu’une femme sur les nerfs, et déterminée à en découdre. Ceux qui m’avaient enlevé mon petit prince paieraient. Ces imbéciles ne pouvaient tout simplement pas kidnapper mes proches sans être punis. Sans doute les entaillerais-je avec mes épines. Si j’arrivais à les retrouver...Si je pouvais marcher...Si j’avais des pieds. Là se posait le principal problème : comment donc allais-je pouvoir trouver des jambes ? Car il était certain que mes racines ne me permettraient pas de voyager à travers les différentes galaxies.
Il me fallait quitte cette planète, et ce, par n’importe quel moyen. La vie de mon petit prince était peut-être en jeu. Si son absence provisoire était difficile à accepter, je ne supporterais surement pas l’idée de savoir qu’il gisait peut-être quelque part, ses paupières closes, seul, sans personne pour lui porter secours. Non, il n’avait pas le droit de mourir. C’était contraire à ce à quoi il s’était engagé en me prenant sous son aile. Je ferais en sorte qu’il tienne sa promesse.
Je n’avais jamais vu une fleur, un jour, se déplacer. Je ne savais même pas si cela était possible. Lorsque nous étions assez grandes, nous pouvions étendre nos racines, de façon à occuper plus d’espace. Mais il était impossible de bouger au sens propre du terme. Nous étions tout simplement condamnés à reste figés sur place, à mourir à l’endroit même où nous étions nés.
Mais je comptais bien changer les choses. J’étais certaine qu’il existait un moyen de déterrer ces racines qui me dérangeaient plus qu’autre chose. Je n’avais jamais encore jamais essayé. L’idée ne m’était tout simplement pas venue à l’esprit –je n’avais pas trouvé de raison qui vaille la peine que je prenne le risque de me déchirer un membre, je suppose. Je trouvais aujourd’hui que le petit prince méritait ce sacrifice.
Aussi, prenant mon courage à deux mains, j’entrepris durant de longues semaines de déblayer la terre autour de mes racines à l’aide de mes feuilles. Puis, je me mis à creuser, du mieux que le pus, pour plus tard pouvoir, prudente, retirer mes racines de terre. Cette dernière étape, loin d’être aisée, fut la plus longue à réaliser. Il me fallait pour cela faire très attention au moment où je tirais sur mes racines, de manière à n’en rompre aucune par inadvertance. Si cela arrivait, je ne ferais qu’empirer la situation initiale, m’empêchant de venir au secours de mon ami. Aussi, je prenais mon temps afin de m’extraire délicatement de la terre qui me retenait prisonnière. La première semaine, je réussis à en retirer une petite partie, la plus haute, qui n’avait qu’un léger contact avec la terre ; puis, peu à peu, à force de patience, le reste se révéla, permettant progressivement de délivrer mes racines du sol. A la fin de cette entreprise, je fus tellement épuisée que je dormis un jour entier, reprenant des forces afin de pouvoir me remettre le plus rapidement possible à la recherche du petit prince.
Malgré l’impatience que j’éprouvais à l’idée de retrouver mon ami, je fus dans l’obligation de mettre en place in plan, de manière à organiser mes recherches. Après quelques minutes de réflexion, je pris le parti de fouiller tout d’abord notre planète de fond en comble. Après tout, peut-être avait-il été retenu ici ? Je doutais qu’il se soit perdu sur ce monde, mais peut-être était-il occupé, retardé par une affaire importante ? Cette idée ne me paraissait que très peu probable, mais si je voulais pouvoir lui porter secours, je ne devais négliger aucune possibilité.
Sans compter le fait que notre planète était l’une des plus petites des environs. Avec un peu de courage, sans doute aurais-je terminé mes recherches avant la fin de la journée, m’étais-je dis. Grave erreur. Lorsque je tentais de marcher, comme le faisait le petit prince, c'est-à-dire un « pied » devant l’autre, mes racines refusèrent de supporter mon poids, me faisant tomber face contre terre. Après m’être épousseté le visage et les pétales ; ainsi que de nombreuses autres tentatives désespérées, je fus dans l’obligation d’user d’une autre méthode bien plus humiliante et indigne de ma personne. Ravalant mon égo, je me mis à ramper, couvrant ainsi bien plus de distance qu’auparavant, mais nécessitant également une force bien plus élevée de ma part.
Quelle ne fut pas ma réaction lorsque je constatais, à la fin de mon périple, que tous mes efforts avaient été vains ? Pour un peu, j’aurais piqué une crise. Sans doute cela serait-il arrivé si j’étais venue à perdre mon objectif de vue, ce qui n’était pas encore le cas, heureusement pour moi.
Dépitée, au lieu de me morfondre, je tentais de trouver une autre alternative possible. Il était clair que je ne pourrais voyager à travers l’espace ainsi. J’avais déjà eu énormément de peine à bouger sur notre petite planète, je ne me voyais sérieusement pas en parcourir d’autres de la même manière.
Il fallait que je trouve le moyen de me procurer des jambes. Actuellement, je n’avais aucune idée de qui aurait la puissance et la générosité nécessaire pour m’en faire cadeau.
J’interrompis mon monologue intérieur, une idée me venant à l’esprit. Je savais qui était en mesure de m’accorder ce que je désirais. Je ne l’avais jamais rencontré en personne, mais le récit de ses aventures s’était répandu comme une trainée de poudre sur toute l’étendue de l’univers. De lui, on ne m’avait raconté que du mal : sorcier, homme sombre et maléfique, il avait de quoi faire pâlir n’importe quelle créature dotée d’un instinct de survie. Mais il était puissant, et magicien. Lui seul pouvait me permettre de rejoindre le petit prince. Ses services ne seraient pas gratuits, loin de là, mais j’étais prête à tout pour retrouver celui que je considérais comme ma seule famille.
~ 37 printemps, partie 2 ~
Je réfléchis longtemps à la manière d’invoquer le vieil homme. Jamais je n’avais entrepris pareille mission. Ne sachant trop quoi faire, je décidais de prononcer son nom. A quoi m’attendais-je réellement ? Je l’ignorais moi-même. Tout ce que j’avais l’impression d’avoir causé pour le moment était de m’être ridiculisée. N’étais-je tout de même pas assez idiote pour croire que le sorcier, habitant à des années lumières de chez moi m’entendrais l’appeler ? Je levais les yeux au ciel, soupirant. Ce n’était définitivement pas une bonne idée.
Alors qu’épuisée, je m’apprêtais à clore mes paupières afin de réfléchir à tout cela de manière plus claire demain, suite à une bonne nuit de sommeil, une lumière étrange m’éblouit.
Lorsqu’intriguée, je me retournais afin de voir de quoi il s’agissait, j’eus du mal à croire au spectacle qui se déroulait sous mes yeux : devant moi se trouvait Rumpelstiltskin, me fixant de ses yeux pleins de malice. Je me frottais plusieurs fois les paupières à l’aide de mes feuilles, pensant rêver. Comment diable avait-il pu savoir que j’avais besoin de son aide ? Comment donc allais-je formuler ma requête ? A présent qu’il me faisait face, je n’osais piper mot. Heureusement, le vieil homme fut plus bavard que moi, et, après un joli mais bien trop long discours explicatif sur le prix de l’utilisation de la magie, me tendit un contrat, me promettant de m’amener sur terre, lieu où je présumais que mon ami se trouvait, étant donné que ce n’était rien de moins que la planète qui l’avait le plus intriguée durant son dernier voyage. Pour moi, il n’y avait aucun doute : c’était bel et bien là où se trouvait mon petit prince.
Laissant de côté cette partie de notre arrangement, je jetais un coup d’œil rapide à ce que le sorcier exigeait de moi en échange de ce service. Très franchement, je doutais que le sacrifice que j’allais devoir effectuer me soit extrêmement plaisant. Et en effet, mes inquiétudes se révélèrent justifiées lorsque mon regard se posa sur la seconde partie du rouleau de papier. En comprenant ce que signifiaient les simples petits caractères disposés côtes à côtes sur la page, mes yeux s’agrandirent de stupeur. Je m’attendais à tout sauf à cela.
-Mes pétales, soufflais-je d’une voix étranglée.
C’était tout ce que je possédais, ma fierté. Jamais je n’aurais un jour ne serais-ce qu’envisagé de m’en débarrasser. Pourtant ...
-C’est d’accord, acceptais-je à contrecœur, m’efforçant de retenir les larmes de frustration qui menaçaient de couler le long de mes joues. Je devais me montrer forte, contrôler mes émotions. Ce n’était qu’une dure épreuve à passer, tout irait mieux après.
M’aidant à saisir la plume qu’il me tendait entre deux de mes si précieuses pétales, dont il se saisirait une fois mon engagement certifié, Rumpelstiltskin me guida, scellant avec moi mon destin, d’une simple signature.
Une fois le contrat bouclé, celui-ci ne perdit pas une minute avant de me dépouiller de ce qui comptait le plus pour moi, après le petit prince. Je remarquais néanmoins qu’il faisait tout de même en sorte de ne pas me blesser – à moins qu’il ne veuille tout simplement pas mettre en péril mes précieuses pétales ?-, mais je m’en moquais. La douleur n’était pas physique, mais mentale, contrairement à ce qu’il pouvait croire. Celle là, redoutable, était bien plus tenace.
Sa promesse fut exaucée, comme convenu, et j’arrivais la minute suivante sur la planète terre, si immense et remplie d’êtres humains que je pensais ne jamais pouvoir retrouver le petit garçon avec qui j’avais grandi. Tous possédaient une enveloppe corporelle semblable à la sienne, tous paraissaient tellement similaires, et pourtant, si différents. Je n’abandonnais pas l’espoir de le retrouver pour autant. Au contraire, à ce moment là, je me sentais plus proche que jamais de mon but.
Rumpelstiltskin m’ayant permis de marcher comme n’importe quelle autre créature de cette planète, j’étais déterminée à revenir aux côtés de mon ami, et ce, même s’il me fallait pour cela parcourir l’intégralité de ce monde étrange.
Aussi ne m’attardais-je pas à jouer la touriste, et fouillais de fond en comble chaque pays, chaque région, et chaque ville, interrogeant parfois certaines de mes comparses qui auraient pu le croiser, me confrontant malheureusement à un silence profond. Apparemment, et de manière invraisemblable, les fleurs ne parlaient pas, là bas. Mes seules potentielles alliées s’étaient retrouvée ne m’être d’aucune utilité.
Persévérant tout de même dans ma démarche, je finis par me rendre compte que le petit prince n’était pas plus sur terre qu’il n’était présent sur notre planète. Le sorcier m’avait trompée.
Remontée et me sentant trahie au plus haut point par le magicien qui m’avait manipulée, je ne tardais pas à le rappeler, hurlant son nom, folle de rage. Parmi les humains, aucun ne parut se rendre compte de rien ; si cela n’était pas le cas, personne ne fit aucune remarque à ce sujet.
L’homme apparut une fois de plus devant moi, un sourire satisfait aux lèvres. Cette fois-ci toutefois, je fus la première à m’exprimer.
-Comment avez-vous pu ? M’offusquais-je, vous saviez qu’il n’était pas sur Terre.
Sur ces mots, le sorcier se débrouilla pour se débarrasser de quelque culpabilité qui pesait sur lui, en tentant de me convaincre que tout ceci était uniquement de ma faute, car, après tout, je ne l’avais jamais interrogé sur le lieu au sein duquel se trouvait le petit prince.
Malgré toutes ses paroles, ses pauvres excuses ne parvinrent pas à me faire regagner son point de vue ; aussi me permis-je d’exiger de lui qu’il m’emmène cette fois-ci directement auprès du petit blond. Jamais je n’aurais pu présumer que je regretterais un jour ces quelques paroles.
~ 6 mois plus tard ~
Je cognais contre le bocal une fois de plus, sans grand espoir. Cela faisait des mois que je donnais des coups sans interruption, si bien que mes épines en venaient à me brûler. Je ne savais pas exactement où je me trouvais, tout ce dont j’avais connaissance, c’était que le sorcier maléfique m’avait kidnappée. Sans doute avait-il préféré éviter toute complication. Peut-être avait-il également désiré me faire taire. Il avait en tout cas trouvé la solution parfaite. Enfermée dans un récipient en verre, éloigné des bords de la tablette de bois sur laquelle celui-ci reposait, je n’avais aucun moyen de me sortir de là. Le peu d’eau que l’homme me fournissait chaque jour me permettait à peine de survivre, je ne me voyais pas ne serais-ce que tenter de pousser avec assez de force le bocal pour qu’il vienne s’écraser contre le sol. J’avais plus de chance de briser le verre de l’intérieur, d’où les coups d’épines que je donnais chaque jour. Mais même cette technique ne semblait apporter que très peu de résultats. La seule chose que j’avais réussi à faire jusque là était d’érafler la surface du réceptacle, que le vieil homme s’était empressé de remplacer par un récipient neuf, afin d’éviter toute chance d’évasion.
A présent, j’avais perdu tout espoir : non seulement je ne reverrais plus le petit prince, mais en plus de cela, je resterais enfermée chez ce monstre sans cœur pour le restant de mes jours. Je n’avais commis que des erreurs du début à la fin, et, grâce à mon immense intelligence, j’allais à présent me faire torturer par ce psychopathe.
Des trainées humides se déversèrent sur mes joues sans que je ne puisse rien y faire. Si je pensais que ma vie sans mon ami serait atroce, j’étais à présent certaine que cette existence de captive serait bien plus affreuse encore. Tout ce que je pouvais faire était frapper, encore et encore, contre ma prison de verre ; tomber de fatigue, et recommencer le lendemain. Ce n’était pas une vie, je ne savais pas combien de temps je pourrais supporter le sort qu’il m’avait réservé. Tout ce que je souhaitais, c’était que tout redevienne comme avant, retrouver mes pétales, ma planète, mon ami, même les dangereux insectes qui rodaient près de mes feuilles mais qui, lorsque l’on arrivait à les repousser assez longtemps, nous permettaient d’assister à leur transformation en magnifiques papillons colorés. Je voulais retrouver tout cela, tout ce qui m’avait été retiré ces derniers mois.
Toutefois, je n’étais pas sotte, je savais bien que tout cela serait bien trop beau pour être vrai ; en un seul mot : impossible. Le seul espoir qu’il me restait était que le petit prince me retrouve. Comment ? Je ne le savais pas moi-même. Je ne savais même pas s’il était en état de le faire. Sans doute étais-ce l’une des choses qui me préoccupaient le plus, dans toute cette histoire : ne pas savoir comment il allait. Car tel était mon but initial : l’aider. Et j’avais lamentablement échoué. Peut-être ka plupart des gens avaient-ils raison ? Les fleurs n’étaient rien d’autres que des créatures faibles et inutiles. Ils avaient raison, et je n’échappais pas à la règle. J’avais été incapable de l’aider. Voici bien là une piètre amie qu’il avait, le petit prince, s’il ne pouvait même pas compter sur elle en cas de difficulté.
~ 38 printemps ~
J’avais toujours su que je n’étais pas la seule à faire partie de la collection de Rumpelstiltskin. Mais jamais je n’aurais pensé qu’une créature puissante était enfermée dans la même pièce que moi. A présent je ne savais pas quoi penser de la jeune fille devant moi ; tout ce que je savais, c’est qu’elle m’avait sauvé la vie. Sans doute serais-je allée la remercier immédiatement si mon année entière de captivité ne m’avait rendue méfiante envers les personnes que je pouvais croiser. Aussi m’efforçais-je de rester discrète, et, pour la première fois de ma vie, de ne pas me faire remarquer. J’avais eu l’occasion de constater en quoi consistaient les pouvoirs de la fille aux cheveux blonds, assez pour savoir que je ne voulais pas en être la cible, loin de là. Pas alors que j’avais enfin la chance de sortir d’ici.
Cela avait commencé par un courant d’air frais, puis, j’avais entendu un son étrange, comme un bruit de casse. Intriguée, j’avais tenté d’apercevoir ce qu’il se passait ; c’est alors que je l’avais vue s’échapper d’un vase dans lequel le monstre l’avait enfermée. Sa sortie planifiée eut pour conséquence de briser chacun des autres récipients contenus dans la salle, y compris celui dans lequel j’étais retenue prisonnière. Cela ne m’empêcha pas pour autant d’ignorer totalement où je me trouvais, ni ce que je comptais faire maintenant libérée de ma prison de verre. Devais-je suivre la jeune fille ou partir seule, de mon côté, en empruntant un chemin différent ? Dans le doute, je préférais rester dissimulée, de manière à ne pas attirer l’attention sur moi, tout du moins le temps de prendre ma décision. Si je me faisais prendre, sans doute ne me laisserait-on pas le choix, et m’emmènerait de force.
Mais après tout, je n’avais pour le moment, nulle part où aller, sans compter que le fait que rester dans les environs se révélerait être une entreprise risquée. Rumpelstiltskin devait être absent, pour ne pas avoir entendu le fracas qu’avait causé notre libération, mais il était certain que le sorcier se rendrait compte de notre absence. A cette idée, je ne pus retenir un frisson, qui me parcourut l’échine. Non, je ne voulais pas rester là. Tout mais pas ça.
Je secouais la tête, dans l’espoir de remettre mes idées en place, et, me décidant enfin, suivis les pas de la jeune fille pour atterrir finalement au sein d’un lieu que je ne reconnaissais que trop bien pour l’avoir arpenté maintes et maintes fois. Seulement, cette fois-ci, le décor paraissait étrange...différent. Contre tout attente, je me rendis compte que cette ville avait sans doute du échapper à mes recherches. SI je l’avais visitée, tout comme les autres, je m’en serais souvenue.
Notamment de par la taille des maisons disposées le long de l’allée sur laquelle j’avançais. De ce que je me souvenais, les bâtiments étaient beaucoup plus grands, sur terre, non ?
Il ne me fallut qu’un court instant de réflexion avant de remarquer que ce n’étaient pas les bâtisses qui avaient rétrécies, mais bel et bien moi qui avait poussée. Pourtant ...ce n’était vraisemblablement plus possible, étant donné que je n’étais pas enracinée. En jetant un coup d’œil à mes racines, je faillis pâlir de terreur. Elles n’étaient plus là, disparues, comme par magie. A la place se trouvaient deux longues et fines jambes, comme possédaient tous les humains vivant sur cette planète. Je les examinais un moment, stupéfiée, avant de contrôler les autres parties de mon corps. Comme je m’y attendais, mes feuilles également s’étaient transformées en ce que les humains appelaient communément des mains. Mon premier réflexe, en constatant tout ses changements fut de vérifier, une vague d’espoir s’étant emparée de moi, l’état de mes précieuses pétales qui m’avaient été arrachées.
Quelle ne fut pas ma surprise lorsque mes doigts se refermèrent sur de légers et doux fils bruns. Pour un instant, j’oubliais tout ce qui avait pu m’arriver précédemment, et ne désirais plus qu’une chose : observer la nouvelle « moi » dans un miroir, cette invention géniale que j’avais appris à connaitre lors de mon premier séjour chez les humains.
Mais malgré ce léger moment d’égarement, mon sens des priorités ou plutôt devrait-on l’appeler dans ce contexte, instinct de survie, me dicta de rapidement déguerpir pour trouver un endroit sûr, où je pourrais me réfugier pour la nuit. J’avais beau avoir échappé à l’enfer qu’était ma vie chez Rumpelstiltskin, je redoutais encore fortement qu’il parvienne à me retrouver. Je ne connaissais de plus personne ici, personne n’accepterait d’aider une étrangère, c’était certain. Je serais seule, à sa merci.
Tout ce que je pouvais faire, c’était me cacher, et attendre le lendemain matin afin de fouiller la ville. Cela faisait maintenant plus d’une année que nous étions séparés mais je ne l’avais pas oublié. Mon petit prince ...Il était mon seul espoir dans ce monde inconnu.
Si j’eus tout d’abord du mal à utiliser mes jambes, je ne tardais pas à assimiler rapidement leur fonctionnement. J’avais eu l’occasion d’étudier le comportement des créatures qui en étaient dotées durant des mois ; je n’avais plus qu’à appliquer les mêmes méthodes dont ils usaient eux-mêmes. Avançant un pied après l’autre, je réussis sans peine à atteindre un petit jardin, laissé à l’abandon. Ce minuscule coin d’herbe, seul élément familier que je pouvais retrouver sur ce territoire peuplé d’inconnus, contribua à me rassurer. Ici, au moins, je n’étais pas trop dépaysée. Je pouvais m’imaginer, juste pour une soirée, que je ne m’étais pas transformée, que rien n’avait changé ...
~ Quelques heures plus tard ~
Je frissonnais, tentant vainement d’ignorer le froid qui s’était installé. Si j’avais su que je grelotterais autant en arrivant ici, sans doute aurais-je pensé à prendre une couverture avec moi, lorsque j’avais quitté le domicile de Rumpelstiltskin. J’étais certaine que ce vieux bougre devait avoir cela quelque part.
Ramenant mes genoux contre ma poitrine, je tentais d’adopter la meilleure position possible de manière à conserver le peu de chaleur que je pouvais gagner, dans le but de me réchauffer un tant soit peu. Après tout ce que j’avais vécu, il était tout simplement inenvisageable pour moi de mourir de froid, ainsi, allongée sur le sol. Ce serait une fin tellement pitoyable. Je ne voulais pas finir comme ça.
Décidant que tenter de dormir alors même que mes membres fraichement acquis étaient en train de se changer en glaçons n’était pas la meilleure des idées qui soient, je décidais de me relever afin d’arpenter silencieusement la ville, à la recherche d’un lieu bien plus propice à une bonne nuit de sommeil. Dormir, c’était tout ce que je demandais pour le moment.
Il n’y avait quasiment personne dans les rues, et le peu gens encore présents dans les allées à cette heure avancée de la nuit, quant à eux, ne me prêtaient pas attention. Je ne savais absolument pas où aller. Ce n’était pas comme si je pouvais rentrer à la maison, comme n’importe quel autre habitant. Ma maison, moi, je l’avais perdue depuis longtemps.
Mais c’était pourtant ce qu’il fallait que je trouve à présent. En tout cas, tout du moins, il me fallait un endroit couvert pour passer la soirée. Si la température était restée stable et supportable en début d’après-midi, le temps s’était à présent rafraichit. Sans compter la pluie qui menaçait de tomber, comme on pouvait aisément le deviner par les nuages noirs qui étaient apparus dans le ciel. Je ne pouvais pas me permettre de rester ici plus longtemps.
A la recherche d’un abri, je me mis à courir, lorsque je sentis une première goute d’eau s’écraser sur mon visage. Il ne suffit que de quelques minutes sous cet orage pour que je finisse trempée jusqu’aux os, et encore plus frigorifiée que je n’aurais pu l’être auparavant. A défaut de trouver quelque endroit pouvant me permettre de fermer les yeux sans attraper une pneumonie, je fus dans l’obligation d’aller demander de l’aide aux personnes qui seraient désormais mes nouveaux voisins. Ravalant ma fierté, je m’approchais de l’une des maisons qui se tenaient devant moi, et entrepris de toquer à la porte. Une fois...Deux fois. Rien. Aucune réponse. A ce stade de la nuit, cela ne m’étonnait pas. Je n’avais déjà que très peu d’espoir à l’idée d’obtenir une réponse, alors, que l’on accepte de m’héberger pour une nuit ? Je commençais à croire cette entreprise impossible.
Sans grande détermination, je réitérais tout de même l’expérience sur toute l’allée, uniquement pour me faire enguirlander par des parents furieux. Je commençais à me dire que je ferais mieux de tenter de me rendormir dans mon jardin, quitte à cracher mes poumons le lendemain, lorsque j’obtins une réponse positive de la part d’un garçon d’à peu près seize ans, pour un humain, qui, au lieu de déchainer sa colère sur moi, s’inquiéta de mon état. Je mis un long moment avant de lui donner la réponse qu’il attendait, concentrée comme je l’étais sur l’impression étrange que celui-ci dégageait. J’étais persuadée de l’avoir déjà croisé quelque part : ses cheveux blonds, presque dorés, ses yeux, son visage. Tout chez lui me paraissait familier. De toute la nuit, je ne pus me défaire de cette idée étrange que je connaissais ce garçon. Toute la nuit que je passais chez lui -ou plutôt devrais-je dire, chez sa famille d’accueil, comme il me l’avait expliqué- des questions se bousculèrent dans mon esprit : Qui était-il ? Pourquoi m’avait-il aidé ? –Après tout, j’étais, pour lui, une parfaite inconnue- Pourquoi avais-je une impression de déjà-vu chaque fois que mes yeux se posaient sur lui ? Et bien plus important encore : Pourquoi ces questions semblaient-elles revêtir une telle importance pour moi ?
Avant que je n’aie la chance de pouvoir prétendre y répondre, le manque de sommeil se fit sentir, la fatigue s’empara de moi, et je m’écroulais sur le canapé du salon.
La première chose que je pu voir, le lendemain matin, fut sa chevelure dorée éclairée par le soleil. Encore à moitié endormie, je me frottais les yeux, croyant rêver. Ce n’était pas possible, il ne pouvait pas être là devant moi. J’aurais pu le reconnaitre parmi cent autres, pourtant ...Cela ne pouvait pas être mon petit prince.
Folle de joie à l’idée qu’il soit revenu près de moi, j’étais prête à lui sauter dans les bras. Sans doute eus-je raison de réfréner mon excès de gaieté, car, en un clignement d’œil, l’image de mon ami disparu complètement, afin de laisser place à la silhouette de l’adolescent qui m’avait recueillie hier soir. Etait-ce une illusion ? Rien qu’une hallucination créée par mon esprit encore bouleversé ? Si cela n’était qu’un rêve, alors, j’étais prête à y rester. Tout pour le retrouver, comme je me l’étais promis.
Je secouais la tête, tentant de revenir au moment présent. Comment donc pouvais-je garder l’esprit clair alors même que l’âme charitable qui m’avait porté secours ressemblait tant à mon ami perdu ? Je ne pouvais même plus croiser son regard sans que l’image de celui-ci ne se superpose à la figure du dénommé Kyle. Tout en lui me rappelait le petit prince : de son physique enfantin à son caractère doux et curieux. C’était comme si l’on m’envoyait un signe, quelque chose pour me dire que j’étais plus près du but que jamais. Quelque chose comme...
Une lumière s’alluma dans mon esprit. J’eus presque envie de me frapper la tête contre un mur, pour avoir été si idiote. Comment n’avais-je pas pu penser plus tôt à cette possibilité ? Si j’avais pu traverser les mondes pour arriver jusqu’ici, pourquoi n’en aurait-il pas été de même pour lui ? Tout concordait ; cette hypothèse était la bonne, j’en étais certaine. Cela expliquait tout ce qu’il s’était passé : le fait qu’il m’aide sans même me connaitre, l’impression familière qu’il dégageait. C’était lui, j’en étais certaine. Kyle Prince était mon petit prince.
~ 40 printemps ~
Kyle Prince... Si je n’avais mis que peu de temps à comprendre qui il était réellement, le garçon, quant à lui, ne semblait pas se souvenir de moi. Cela faisait un an déjà que j’avais emménagé à Storybrooke, et que je m’étais faite à la vie en tant qu’humaine. Un an que j’essayais de lui faire se rappeler de moi, de manière subtile. Mais mon ami peinait déjà à se remémorer son propre passé ! Je ne voulais pas le brusquer, surtout pas après tout ce qu’il avait pu subir. Le but n’était évidemment pas de l’effrayer, mais de l’aider du mieux que je le pouvais, comme il l’avait toujours fait avec moi.
J’avais réussi à gagner sa confiance, et le garçon s’était peu à peu confié à moi. Tout ce que je voulais savoir, c’était ce qu’il s’était passé, ce qui avait pu lui arriver en mon absence pour qu’il se retrouve dans un état pareil. Amnésique, recouvert de cicatrices, il faisait bien peine à voir. Mais malgré tous les efforts possibles, le jeune homme ne parvenait pas à se souvenir de qui lui avait fait cela. Il ne savait pas réellement d’où il venait, ne savait pas réellement vers qui se tourner. Sur ce dernier point, c’était là que j’entrais en jeu. Les gens avaient beau l’ignorer ou le regarder de travers, je m’en moquais royalement. Il était mon petit prince ; quoi qu’il arrive, je m’étais juré d’être toujours là pour lui. Ce n’était pas maintenant que j’allais faillir à mon engagement. Pas alors qu’il avait plus que jamais besoin d’une amie.
Je lui pardonnais sans difficulté le fait qu’il ne garde aucun souvenir de moi. Après tout, ce n’était pas réellement de sa faute. Tout ce qui m’importait maintenant était qu’il aille bien.
Si ma présence ne s’était pas véritablement faite remarquer les premiers jours, la population de Storybrooke commença à se poser des questions à mon sujet lorsqu’il constatèrent que je comptais bel et bien rester dans leur village. Aucun d’entre eux ne savait d’où je venais. Lorsque certaines personnes m’interrogeaient à ce sujet, je leur donnais le nom d’une petite ville peu connue, de manière à ce qu’ils ne poussent pas plus loin l’interrogatoire. Bientôt, bien que je restais toujours un personnage curieux à leurs yeux –une personne sensée, d’après eux, ne passait pas tout son temps auprès de quelqu’un comme Kyle-, ils ne se posèrent plus aucune question, et me laissèrent mener ma vie comme je l’entendais. Une fois qu’ils avaient pu se rendre compte qu’il n’y avait plus rien à savoir sur mon sujet que ce que je leur avais déjà confié, ils reprirent leur train de vie habituel, se comportant comme si j’avais toujours fait parti des leurs. Après tout, l’être humain était connu pour ne se préoccuper uniquement de sa petite personne.
- Spoiler:
J'ai pris la liberté d'imaginer le moment où Rose retrouverait le petit prince, étant donné que ce n'était pas précisé dans la présentation de Kyle. C'était, en fait, juste une petite idée qui m'était passée par la tête, lorsque j'avais relu le livre. Cela reste néanmoins parfaitement modifiable, si cela ne convient pas au créateur du scénario.
En quelques mots : pas taper pas taper *part se cacher*
Je pensais déjà l'avoir fait poireauter un long moment, donc ...je me suis dis que j'allais tenter ma chance en postant, quitte à changer ou supprimer cette partie par la suite s'il le fallait.